Trois éléments, simples en apparence, mais qui pourtant constituent le fondement même d’une démarche photo. Vision, intention… puis ensuite, et seulement ensuite, clic! Ça s’apparente beaucoup à ma propre règle des tiers, «Vision, émotion, moment» mais le premier énoncé fait plutôt place à l’intention, au projet à parcourir, à l’objectif visé plutôt qu’à l’émotion. Cette semaine, je souhaite vous faire part de trois coups de coeur récents qui illustrent à merveille cette équation «vision, intention, photo». Je vous invite à une autre démonstration à l’effet que la «bonne» photo est loin de reposer uniquement sur les fonctions d’un appareil et les filtres Instagram.
Bon début de semaine à vous tous et merci d’être à nouveau à notre rendez-vous. Chez nous, l’arrivée du «vrai» printemps tarde. Heureusement ces jours-ci les occasions sont nombreuses pour profiter d’événements culturels afin d’enrichir notre référentiel photo.
J’ai déjà écrit par le passé sur l’importance d’avoir une vision et une intention au moment d’appuyer sur le déclencheur. Au-delà du sujet qui se présente à vous, ce qui permet à votre photo de se distinguer est la vision que vous avez de votre sujet et l’habileté à exprimer votre intention dans votre photo. Présentez le même sujet à 20, 30 ou 40 photographes et observez par la suite comment certains vont réussir à se démarquer, à présenter ce dernier de façon différente des autres photographes. Même sujet, visions différentes, résultats multiples.
J’ai trois coups de coeur à partager avec vous, trois événements culturels qui sont à la portée des résidents du Québec actuellement mais qui ont ou vont probablement être à la portée de nos amis en Europe et ailleurs. Ces trois coups de coeur ont tous un élément en commun: l’aboutissement d’une démarche, d’une intention, d’un projet avec toute la rigueur, le dévouement, la détermination que ça requiert.
Le Sel de la Terre
Le film est présentement diffusé à Montréal en version française et anglaise. Courrez-y! Il s’agit d’un documentaire sur l’oeuvre immense, terriblement humaine et sociale de Sebastião Salgado, photographe brésilien. Le documentaire «Le sel de la terre» porte sur les nombreux projets de Salgado. Pendant deux heures, on observe, on écoute la pensée du photographe. On entend le récit de ses intentions. On est immergé dans son cheminement de vie pour constater que ses photos et sa vie ne sont pas dissociées.
Avec Salgado, certains redécouvriront la puissance de la photo en noir et blanc. Je me souviens d’avoir été ébloui, il y a quelques années, à la suite d’un reportage dans Réponses photo sur cette puissance qui se dégage des photos, autant pour les photos à caractère social que les photos paysages. Non, la photo noir et blanc ne sied pas uniquement à la photo de rue. Mais au-delà d’un visionnement didactique qu’on pourrait rechercher dans ce documentaire, c’est l’homme qu’on découvre. Le photographe. Celui qui, le plus simplement du monde, nous fait part de ses projets, de ses doutes, du récit quant à certaines photos. Au sortir du visionnement, on aura compris qu’un projet, qu’une oeuvre se bâtit à l’image de son Instituto Terra au Brésil. Dans un lieu presque désertique, sa conjointe et lui ont réussi à transformer le tout en un parc national où la végétation est luxuriante et la vie a repris le dessus. Ils ont réussi à le faire, un arbre à la fois, tout comme la démarche photo de Salgado: une vision, une intention et une photo à la fois.
Bryan Adams, le photographe
Vous êtes à la recherche d’un prétexte pour faire une belle virée à Québec? En voici un, voire deux. L’exposition «Bryan Adams s’expose» au Musée des beaux-arts de Québec est un rendez-vous significatif. Comme plusieurs, vous sourcillez sans doute. Bryan Adams, le chanteur? Oui, le chanteur mais qui est aussi un excellent photographe.
Certains peuvent être intéressés par les photos d’autres artistes produites par Adams. C’est assez déroutant de constater comment plusieurs artistes, faisant confiance à Adams, ont accepté de s’éloigner des clichés habituels et glamour de l’industrie du showbizz. Dans plusieurs cas, c’est vraiment un acte de création auquel on assiste entre le photographe et l’artiste, allant de la mise en scène jusqu’au jeu du modèle. Les façades ont tombé, l’inconfort a été repoussé.
Mais c’est vraiment le 2e volet de l’exposition qui retiendra davantage notre propos aujourd’hui en lien avec notre article. Cette 2e portion de l’exposition impose une mise en garde aux visiteurs: âmes sensibles s’abstenir. Dans une section à part, on présente les photos qu’Adams a réalisé de soldats revenus de zones de combat avec des blessures importantes. Ces soldats sont aujourd’hui estropiés. Les photos présentent leurs blessures, leurs prothèses, les membres amputés. Ce qui me reste le plus de ces photos, ce sont les yeux de ces soldats. Des yeux qui souvent nous regardent, où on sent une résilience oui mais également une douleur et un vide. Ce sont des yeux qui se vrillent dans les nôtres avec une question à laquelle les soldats connaissent la réponse: «êtes-vous à l’aise de me regarder?» «Seriez-vous à l’aise de venir me parler?»
Avec Wounded — The Legacy of War, Adams a une vision et une intention. C’est un projet qui s’est étalé sur quelques années. C’est à voir.
Il faut aussi profiter de votre passage au Musée des beaux-arts de Québec pour visiter l’exposition «1950 – Le Québec de la photojournaliste Lida Moser». Quel beau regard jeté sur le Québec des années 1950 par la photojournaliste américaine Lida Moser. Au-delà du regard jeté sur notre société d’alors, ce qui importe à mon avis est la démonstration de l’importance de documenter les époques en photo. Dans tout ce déluge de photos qui abondent dans nos médias sociaux, il faut que certaines résistent pour témoigner pour notre vie d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Vive des démarches comme celle de Moser qui sont rafraîchissantes dans notre monde où les pixels disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus.
Sophie Calle, pour la première et dernière fois
Y’a toujours une première fois. Puis, y’a une dernière fois. «Je suis allée à Istanbul. J’ai rencontré des aveugles qui, pour la plupart, avaient subitement perdu la vue. Je leur ai demandé de me décrire ce qu’ils avaient vu pour la dernière fois. » Et pour la première fois? « À Istanbul, une ville entourée par la mer, j’ai rencontré des gens qui ne l’avaient jamais vue. J’ai filmé leur première fois. »
C’est un rendez-vous qui se termine sous peu au Musée d’art contemporain de Montréal. L’exposition est émouvante, on le devinera. Les témoignages des personnes racontant à l’artiste la dernière image qu’ils ont encore à l’esprit après d’avoir perdu la vue ne laissent personne indifférent. Ce vieil homme turc qui découvre la mer pour la première fois en essuyant une larme nous touche tout autant.
Avec le vidéo ci-dessus, vous serez en mesure de comprendre les intentions et la vision de l’artiste photographe et vidéaste. Encore une fois, tout est question de vision, d’intention et de mener un projet jusqu’à bout.
Cette exposition se termine sous peu, soit le 10 mai. Celle de Bryan Adams à la mi-juin 2015 tandis que le film «Le Sel de la Terre» connaît un beau cheminement car il a remporté trois prix et mentions au Festival de Cannes en 2014. Après tout, il est bien signé notamment par Wim Wenders. 🙂
J’espère que ces trois coups de coeur ou d’autres inspireront votre cheminement photo. Trois démarches, trois regards, trois créateurs réalisant des projets. N’hésitez pas à partager d’autres sources d’inspiration. Notre référentiel et notre démarche photographiques gagnent à découvrir l’autre non pas pour le copier mais pour mieux connaître soi.
Merci Louis de partager ces sources d’inspiration. Le Sel de la Terre sera ma sortie de demain et je penserais à toi.